Episodes

  • Judith Duportail : « Demain, nous vivrons de grandes fêtes sans smartphone »
    Jul 1 2021

    Comment draguer dans le futur ? Convaincue que « le swipe est un geste de droite », cette autrice et journaliste parisienne, spécialiste des applis de rencontres, rêve de flirts en mode avion et d’amour sans algorithme.


    « La simple idée de me connecter à une application me glaçait le sang. Draguer un mec me collait de l’hypertension. J’étais clouée sur le banc de touche des grands brûlés de l’amour. » Dans Dating fatigue, son dernier essai publié ce printemps aux éditions de l’Observatoire, Judith Duportail, 34 ans, livre une enquête introspective sur cette forme « d’épuisement mélancolique » consécutif à « l’errance entre relations floues » nées des rencontres en ligne. Ce qui fatigue, c’est le fait de devoir « dérouler ce qu’on fait dans la vie à une table de café avec des mots déjà tant répétés qu’ils semblent caoutchouteux », slalomer parmi les nouveaux comportements numériques tels que le ghosting quitter quelqu’un en cessant brusquement de répondre à ses messages ») ou l’orbiting l’art d’ignorer une personne tout en continuant de suivre assidûment sa vie sur les réseaux et en réagissant strictement avec des émojis »), tout en espérant « construire des relations égalitaires entre hommes et femmes dans un monde qui ne l’est pas », « faire respecter son consentement, concrètement » et envisager, dans son cas, de se transformer en « hétéra : une hétéro qui veut kiffer les hommes hors des structures de domination et des enjeux de pouvoir, une hétéro qui baisse les armes ».


    À l’avenir, au nom de cet ultra-libéralisme amoureux passablement dégoûtant, froid et déshumanisé en passe de devenir la norme, devra-t-on apprendre à se contenter de « miettes » sentimentales – avant de finir avec l’âme en mille morceaux ? Pour le savoir, Judith voyage, interroge. L’autrice de l’enquête de référence sur les coulisses de Tinder (L’amour sous algorithme, éditions de La Goutte d’Or, 2019) discute « d’anarchisme relationnel » avec un.e militant.e trans non binaire, sent l’électricité reparcourir son corps dans le recoin d’un immense résidence d’artistes à Berlin, mais s’inquiète que quelqu’un puisse poster une photo d’une soirée où elle tient la main de son ex.


    Grimpant à bord de notre navire utopique, Judith Duportail se demande justement comment draguer dans le futur en rêvant de grandes fêtes réussies où le smartphone serait interdit, pour « tromper les apparences », « écrire sa propre histoire sans stories » et conjurer toute tentation de mise en scène de soi et se désintoxiquer de notre dépendance à la dopamine générée par les likes et les coeurs synthétiques. Convaincue que « le swipe est un geste de droite », la journaliste rêve ici de flirts en mode avion et d’amour sans algorithme. 


    P.-S. : Pour le tout dernier épisode de ce podcast né une semaine après le premier confinement en mars 2020, miroir de nos espoirs et de nos angoisses durant quinze mois de crise sanitaire, terminer cette aventure sur l’image d’une fête pleine d’amour est un présent – un cadeau – hautement désirable que les deux pilotes de L’Arche de Nova accueillent à bras ouverts.


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Image : Les Rencontres d’après minuit, de Yann Gonzalez (2013).

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    7 mins
  • Iris Kooyman : « Demain, nous détournerons les pigeons-robots de la République »
    Jun 28 2021

    Sensible à la théorie du complot selon laquelle TOUS LES OISEAUX seraient en réalité des drones de surveillance gouvernementaux, cette étudiante du master de création littéraire du Havre a mené l’enquête dans les volières secrètes de l’Hexagone, en remontant… jusqu’au Général de Gaulle.


    Elle déclare, non sans panache, aimer « les bus de banlieue et les documentaires animaliers de la BBC ». Elle aurait dédié ses trois dernières années à enseigner le français dans une classe d’accueil pour adolescents non-francophones de La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Étudiante du master de création littéraire du Havre, elle écrit désormais un roman sur quatre spécimens de copines présentant la particularité de savoir lever le coude en milieu bistrologique, dont l’une est « une assistante sociale au bord du burn-out ». Spoiler : c’est pas triste.


    Voici l’essentiel, à ce jour, des pièces que nous pouvons verser au dossier concernant notre invitée du soir répondant au nom d’Iris Kooyman. Nouvel élément, peut-être décisif : ces derniers mois, l’intéressée a compulsé les discussions ornithologiques du forum américain Reddit, notamment à propos de cette vertigineuse théorie du complot, Birds Aren’t Real, selon laquelle les oiseaux « n’existent pas » et seraient en réalité des drones de surveillance gouvernementaux.


    Sensible à cette hypothèse, Iris Kooyman a donc mené l’enquête dans les volières secrètes de l’Hexagone, en remontant jusqu’au Général de Gaulle et le prototype d’un « pigeon robotique de surveillance des frontières » baptisé Lucien, expérimenté dès 1945. Une technologie que tous les Présidents de la Ve République ont utilisée par la suite en contrevenant à toutes nos libertés fondamentales : observer « la calvitie de la population, afin d’évaluer le nombre et les turpitudes du stock national de chauves » (Giscard), assurer le soutien logistique de la FrançAfrique, notamment au Rwanda (Mitterrand), muscler nos « basses barbouzeries » (Chirac, Sarkozy), « traquer les chômeurs récalcitrants » (Hollande) ou enfin – les pigeons ayant été dotés de la précision des drones développée depuis une sinistre « birdcave » cachée dans les îles du Frioul – « filmer les banlieues, les piquets de grèves et l’intégralité des manifestations des Gilets Jaunes, voire certains concerts en plein air » (Macron).


    Mais le gouvernement n’a pas su anticiper la sagacité d’un groupuscule de hackers, Les Oiseaux Rares, qui ont réussi tôt ou tard à « cracker les codes » de ces cyber-piafs… pour une belle révolte anticapitaliste, qui ne ménagera pas non plus les nervis et porte-paroles du crypto-fascisme contemporain, non sans un ultime scoop. Comme le déclamait Benoît Poelvoorde dans C’est arrivé près de chez vous : « Pigeon / Oiseau à la grise robe / dans l’enfer des villes / à mon regard, tu te dérobes. »


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Pour écouter la précédente utopie d’Iris Kooyman, c’est ici : https://www.nova.fr/news/iris-kooyman-demain-les-francais-deviendront-peu-a-peu-des-opossums-141627-12-05-2021/


    Image : campagne d’affichage contre les oiseaux-drones, vue sur Reddit (2020).

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    7 mins
  • Delphine Bretesché : « Demain, nous relâcherons les mâchoires »
    Jun 24 2021

    À Nantes, cette plasticienne, poétesse et dessinatrice se jette dans les bras « immenses et chaleureux » de l’avenir, après une expiration « dé-sidérante » inspirée par la « puissance de la douceur » chère à la psychanalyste Anne Dufourmantelle.


    « La chute / Lente / Le décordé / Le corps / Lentement / Le qui monte plus / Plus dure sera l’ascension / Qui prend fin / La tension / La corde molle / La corde dure / La corde au cou / À la taille / à la taille de qui… » C’était en octobre 2019, aux cafés littéraires de Montélimar. Une randonnée immobile de dix minutes avec la plasticienne, poétesse et dessinatrice nantaise Delphine Bretesché, étirant les motifs escarpés de la triste formule d’Emmanuel Macron, lors de sa première interview télévisuelle post-élection, cimentant son image de président des riches : « Je crois à la cordée, il y a des hommes et des femmes qui réussissent parce qu’ils ont des talents, je veux qu’on les célèbre (…) Si l’on commence à jeter des cailloux sur les premiers de cordée, c’est toute la cordée qui dégringole. »


    Formée aux Beaux-Arts de Nantes, l’artiste posait pas à pas, parfois mot à mot, son contre-poème sur le culte de l’ascension. « Corps et corde / Tirée d’où / Tirée vers / Où / L’haut / L’en haut / Que t’auras jamais / Jamais / Autrement / Qu’au-dessous / À voir les culs / Du dessus / Ceux qui grimpent / Les mains / Arrachées / Grimpe / Grimpe / Grimpe / Avec tes dents / Celles qui te restent / Grimpe / Grimpe / Grimpe / T’auras marché sur / Suffisamment / Grimpe / Grimpe / Grimpe / De têtes / Peut-être / Pour imaginer… » Dans les crevasses de ce texte vivifiant paru aux éditions Apocope accompagné des dessins de Clara Djian et Nicolas Leto, il est aussi question de « léchage des culs du dessus », des « miettes aux petits chiens », mais également, ça alors, en contrebas, de « ceux qui s’allient », qui ont quitté l’ascension « depuis longtemps » et qui apprennent à « marcher ensemble ».


    Depuis, Delphine a poursuivi son éloge du collectif avec Marseille festin ! (éditions Laskine, 2020), témoignage de cinq semaines de résidence dans la cité phocéenne dans cinq quartiers différents, avec le repas cuisiné puis dévoré en commun comme motif éternel de compréhension, de fraternité et d’harmonie. « Qu’est-ce qui se déplace quand on se déplace ? Qu’est-ce qu’on offre ? Qu’est-ce qu’on reçoit ? Qu’est-ce qui résiste ? Et si la rencontre est une nourriture ? » Ce principe appétissant sera renouvelé dans un ouvrage à paraître, Québec festin !


    Grimpant pour la seconde fois à bord de notre Arche, Delphine Bretesché, qui anime aussi depuis deux ans des ateliers d’écriture à la faculté de médecine de Nantes, se jette dans les bras « immenses et chaleureux » de l’avenir après une expiration « dé-sidérante », inspirée par la « puissance de la douceur » chère à la psychanalyste Anne Dufourmantelle, titre d’une « courte méditation » publiée en 2013. Cette dernière écrivait : « La douceur allège la peau, disparaît dans la texture même des choses, de la lumière, du toucher, de l’eau. Elle règne en nous par de minuscules brisures de temps, donne de l’espace, enlève leur poids aux ombres. » Et que ne durent que les moments doux.


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Pour écouter une autre utopie de Delphine Bretesché, c’est ici : https://www.nova.fr/news/delphine-bretesche-demain-eliminera-le-pourri-la-hache-38963-15-05-2020/


    Pour voir Delphine Bresteché performer Premiers de cordée en solo intégral, c’est là : http://tapin2.org/premiers-de-cordee?fbclid=IwAR3ZyjGMCr3LNU83ZlD9DJcaQPl19LmFKcUaa5dBUuWwvnmdPxT63Th5HDQ


    Image : Maps To...

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    5 mins
  • Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp : « Demain, des Amérindiens vont déconquérir l’Europe »
    Jun 23 2021

    À Genève, ces douze musiciens anticonformistes se font l’écho du possible voyage, cet été, d’une centaine de zapatistes mexicain.e.s pour des rencontres entre mouvements de résistance, de l’Espagne à la Russie, visant à obtenir « la destruction du capitalisme ».


    « We’re OK, but we’re lost anyway. » Le titre du cinquième album de L’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, à paraître le 2 juillet sur le label Bongo Joe, mériterait d’apparaître sur des milliers d’affiches aux quatre cents coins du globe, tant la formule résume notre sentiment après quinze mois de crise sanitaire. Pas de grandes remises en question pour le très attendu « monde d’après », juste un retour à l’anormal et le durcissement des discours politiques. De quoi rester, en effet, « perdus, quoi qu’il arrive », comme le chante en 2021 les douze membres de cette fanfare exploratoire à géométrie variable formée quinze ans plus tôt par le contrebassiste Vincent Bertholet, qui confie parfois : « À la base, le but était de faire un groupe de rock avec de la marimba. » Divers instruments se sont greffés pour repeindre notre monde de couleurs funk, soul, jazz, pop, dub, post-punk, highlife ou samba.


    Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp : le nom, déjà, ne laisse guère indifférent les amateurs de curiosités hybrides, brassant la fièvre de légendaires combos africains (OK Jazz au Congo, Poly Rythmo au Bénin) et l’héritage anticonformiste de « l’anti-artiste » autodidacte, peintre et plasticien pataphysic-oulipien, qui demanda un matin : « Faut-il réagir contre la paresse des voies ferrées entre deux passages de trains ? » Sur son morceau Flux, l’OTPMD, lui, vocalise d’un ton monotone, équipé d’une cadence afro-beat striée de riffs à la Tortoise : « Des containers européens remplis de pommes pour la Chine croisent dans l’océan Indien des containers chinois remplis de pommes pour l’Europe. Ah ? Ah ? De jeunes paysans africains partent ruinés vers l’Europe, pour cueillir des tomates qui sont envoyées en Afrique. Ah ? Ah ? Oui, oui, oui, oui. »


    Grimpant sur L’Arche de Nova, Vincent Bertholet se fait l’écho du possible voyage, cet été puis cet automne, de zapatistes mexicain.e.s à travers l’Europe, de l’Espagne à la Russie. En janvier dernier, des insurgé.e.s du Chiapas publiaient une « déclaration pour la vie », appelant à des rencontres entre des mouvements de résistance avec, pour but, « la destruction du capitalisme ». Le 2 mai, le voilier « La Montagne » a quitté le Mexique avec à son bord « quatre femmes, deux hommes et une personne transgenre » en direction de Madrid, pour une arrivée prévue le 13 août, cinq cents ans après « la prétendue conquête du Mexique » ; cette aventure est d’ores et déjà racontée en bande dessinée par Lisa Lugrin, à lire sur le site de Mediapart. De nombreux collectifs, présents par exemple sur la ZAD de Notre-Dame des Landes, sont impatients de les accueillir.


    Comme l’explique le magazine radical Basta !, ces sept dé-conquistadors devraient être rejoints par plus de cent militant.e.s, « aux trois quarts des femmes », puis par des membres du Congrès national indien et du Front des villages en défense de la terre et de l’eau. Le fondateur de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp imagine alors les conséquences inespérées de « l’escadron 4-2-1 » : sanglots des dirigeants européens et « démantèlement des grands empires commerciaux au profit d’initiatives paysannes locales ». Soon, we’ll be OK !


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Pour lire la BD de Lisa Lugrin, c’est là : https://blogs.mediapart.fr/le-voyage-pour-la-vie


    Pour écouter une utopie d’Iroquois anarchistes, contée par...

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    6 mins
  • Laureline Mattiussi : « Demain, des chiens érudits nous apprendront la beauté et la camaraderie »
    Jun 22 2021

    À Bordeaux, cette autrice de bande dessinée lève la patte pour une imminente civilisation de toutous philosophes, sagement inspirée par « Demain les chiens » de l’Américain Clifford D. Simak.


    « Jean Cocteau. On vous accuse d’être un touche-à-tout, un dilettante mondain, un séducteur opportuniste, un poète superficiel et un fantaisiste. Votre œuvre ne suit aucune logique. Vos métamorphoses agacent. » Dans Cocteau l’enfant terrible, magnifique biographie dessinée parue aux éditions Casterman en septembre dernier, Laureline Mattiussi et François Rivière imaginent le jeune et le vieux Cocteau conjointement convoqués au tribunal de leur existence. « On vous manque souvent de respect. Peut-être parce que vous manquez de sérieux. A-t-on jugé votre œuvre avec trop de désinvolture, ou êtes-vous un imposteur, un être éparpillé, pris en défaut de profondeur ? » Dans un subtil entrelac de tableaux noirs et blancs tracés à la plume et au pinceau, la vie tumultueuse du poète se déploie sous nos yeux captivés, en empruntant autant à la réalité qu’à ses œuvres sulfureuses. « Si votre maison brûle, qu’emportez-vous ? », demanda-t-on un jour au réalisateur du Sang d’un poète (1930), son premier film, considéré comme scandaleux pour sa « curiosité érotique, plastique et suicidaire ». Cocteau répondit : « Le feu. »


    Seize ans plus tard, en 1946, Jean Cocteau a besoin du corps d’un chevreuil pour le tournage de La Belle et la Bête. Deux assistants lui apportent deux chiens morts, pullulant de mouches ; « en les amenant chez l’équarisseur et en leur fabriquant des bois… » C’est le genre de choses qui n’arriverait pas dans le futur canin prédit, depuis Bordeaux, par Laureline Mattiussi. Grimpant à bord de L’Arche de Nova, le dessinatrice et scénariste a rouvert l’une des huit nouvelles qui composent le recueil Demain les chiens de l’Américain Clifford D. Simak. Dans ce classique S.-F. de 1952 – l’un des livres de chevet de Michel Houellebecq –, une société de toutous érudits, doués de parole, étudient et commentent les quelques « douze mille ans » du règne humain sur la Terre, jusqu’à douter de l’existence de ceux auxquels ils ont succédé. Chiennes et chiens élaborent alors, « avec une clarté d’esprit inédite », leur propre utopie basée sur « la beauté, la compréhension de cette beauté – et plus important encore, la camaraderie, comme nul n’en a encore jamais connue, ni homme ni chien ». Belles bêtes. Les métamorphoses peuvent reprendre.


    Réalisation : Tristan Guérin.


    Pour écouter une autre utopie de chiens savants, contée par Eva Bester, c’est ici : https://www.nova.fr/news/eva-bester-demain-nous-serons-gouvernes-par-des-chiens-42171-19-11-2020/


    Image : Mr. Peabody & Sherman : les voyages dans le temps, de Rob Minkoff (2014).

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    5 mins
  • Rocé : « Demain, nous allons fédérer les forces de résistance »
    Jun 21 2021

    La plume la plus politique du rap francophone nous engage à tisser des « lianes solides » entre les mouvements « écologistes, féministes, anticapitalistes et panafricains », pour faire briller les énergies « cachées sous la brume des systèmes d’oppression ».


    « J’suis pas un ouf, je suis en colère. Vous êtes des oufs de ne pas l’être. » C’était fin mai, près des platines de Sims sur Nova : le retour époustouflant de la plume la mieux renseignée du rap francophone, vingt minutes de live avec Rocé « l’intrépide » – dont le flow posé navigua entre quelques-uns de ses titres exemplaires (On s’habitue, En apnée) et des tranches de son nouvel EP, Poings serrés, à paraître vendredi sur le label Hors Cadres. « Les MCs appellent punchlines ce que j’appelle écrire. ». Un tel échantillon de rimes « simples, intenses » rappela, si nécessaire, que le hip hop hexagonal peut évoquer autre chose que la virilité toxique de machos matamores, une bien pauvre obsession pour l’argent et la réussite individuelle, ou de pseudos exploits criminels.


    Sur le récent Cxpitxlistes, celui qui se nomme à l’état-civil José Youcef Lamine Kaminsky écrit par exemple : « J'aimerais transformer le malheur en fleur / pour voir qui ferme le poing sur les épines / Tout ce qui y est bon dans cette vie se fait descendre / Mais on ne fera pas du feu avec des cendres / Ils ont cassé humanité et jambes / de l'Afrique à la cordillère des Andes (…) On est mangé par du capitalisme, alors on meurt sur du capitalisme (…) Ce monde nous vend le dépassement de soi / Pas pour le sport mais pour un poste en stage / Comme ça tu t'exploiteras toi-même / Pas pour l'oseille mais pour pas être en marge. »

    Sur Tenir debout, ce « Russo-Algérien panafricain » né en 1977 à Bab-el-Oued, catapulté sept ans plus tard dans le 9-4, se demande : « On laissera quoi aux gosses à part une vie de start-up ? Des cagnottes, des hold-ups, des ragots et des carottes ? Aucune bonne intention, pas de projet de société, ils ne cherchent pas à protéger, ne cherchent pas à s’auto-gérer. » Puis Rocé égrène à toute vitesse la liste de ses principales références politiques et littéraires – Frantz Fanon, Miriam Makeba, Rosa Luxembourg, Aimé Césaire, Che Guevara… –, en passant par son père, Adolfo Kaminsky, résistant et spécialiste dans la fabrication de faux-papiers pour peuples en révolte aux quatre coins du globe.


    Toujours disposé, depuis 2001, à « changer le monde », Rocé grimpe avec panache à bord de L’Arche de Nova et nous engage à « tisser des lianes solides » entre les mouvements « écologistes, féministes, anticapitalistes et panafricains », ainsi que d’inclure « l’Histoire des vaincus à l’école », pour faire briller les énergies collectives « cachées sous la brume des systèmes d’oppression ». Tandis que les gauches rament à s’unir face à l’effarante montée de l’extrême-droite aux multiples visages, le rappeur nous incite, si, on peut le faire, à « briser l’inertie ». 


    Pour réécouter Rocé chez Sims, c’est là, à partir de 41’00 : https://www.nova.fr/news/sims-sur-nova-30-avec-roce-142902-24-05-2021/


    En concert le 9 juillet à Roubaix (La Condition publique).


    Image : Rocé photographié par Ousmane Diaby, tous droits réservés.

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    6 mins
  • Christophe Siébert : « Demain comme aujourd’hui, les diamants brillent mieux dans la merde »
    Jun 17 2021

    À Clermont-Ferrand, ce romancier de l’apocalypse, qui flippe à mort dès qu’il entend parler d’utopies, nous offre une visite guidée de sa Gotham City post-soviétique : la « République indépendante de Mertvecgorod », dégueulasse et corrompue, où les kebabs ont enfin ce goût d’hydrocarbure dont il rêve la nuit.


    Ce sera, probablement, le bouquin le plus poisseux de la rentrée. Son titre, déjà : Feminicid, en librairies le 16 septembre, deuxième tome des chroniques de la « République indépendante de Mertvecgorod », un an et demi après Images de la fin du monde, tous deux publiés aux éditions Au Diable Vauvert. Dédié aux victimes de l’authentique féminicide perpétré dans la ville-frontière de Ciudad Juárez au Mexique depuis 1993 (quatre cents femmes assassinées, six cents disparues), le nouveau roman de Christophe Siébert est une sorte de Millenium craspec, à la sauce ruskoff. Son héros, Timur Maximovitch Domachev, est un fouille-merde, un résidu de journaliste spécialisé dans « les égouts et le caniveau », sans « aucune conscience sociale ni politique, aucune culture ». Son destin bascule le jour où il est contacté par des « aktivisti » énervées représentées par la mystérieuse Lily (ses loisirs : la techno hardcore, le chamanisme, la sexualité sacrée, les drogues synthétiques artisanales). Au prix d’une balle dans la tête, Timur enquêtera avec elle sur les milliers de meurtres atroces qui frappent les dames de Mertvecgorod.


    Mertvec-go-quoi ? L’auteur décrit sa Gotham City comme « une mégapole déliquescente de sept millions d’habitants, post-soviétique et pré-apocalyptique, dévorée par la pollution, perdue dans la toundra, pourrie jusqu’à la moelle, criblée de surnaturel. La version russe du Los Angeles de Blade Runner. Le Londres de Jack l’éventreur déplacé à la frontière ukrainienne. » Depuis sa (vraie) ville de Clermont-Ferrand, ce prince des ténèbres de l’underground littéraire, qui depuis plus de vingt piges propose via sa prose macabre un « réalisme critique et une forme de naturalisme social qui mêle horreur, pornographie et gore », très justement récompensé du prix Sade pour sa Métaphysique de la viande (2019), nous offre une visite guidée de sa contrée « où ça grouille, ça pue et ça braille », « purement, totalement soumise aux passions humaines : orgueil, avidité, narcissisme, impulsivité, égoïsme, libido ». Quelque part, oui : un futur désirable.


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Pour en savoir plus sur le parcours de Siébert et la « fabrication » de cet écrivain, c’est ici : https://audiable.com/boutique/cat_document/fabrication-dun-ecrivain/


    Image : Joker, de Todd Philipps (2019).

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    6 mins
  • Maya McCallum : « Demain, chaque jour, une heure à ne rien faire, rideaux tirés »
    Jun 16 2021

    À Paris, cette dessinatrice franco-écossaise esquisse le « service civique d’inactivité », un rendez-vous quotidien obligatoire avec l’ennui et « l’immobilité inefficace », sans écrans ni yoga. Zéro injonction à être zen. Une heure pour que dalle, nada, walou. Waou !


    Un arbre lui pousse dans le cœur. Pour Faune et flore, l’un de ses autoportraits à l’encre noire sur fond blanc rassemblés dans l’exposition Double Trouble visible à la galerie parisienne Arts Factory jusqu’au 26 juin, Maya McCallum se représente assise, le sein gauche à l’air libre, entourée d’angelots chérubins qui peignent ou croquent des fruits défendus, dans un ardent buisson de mains élastiques et de fleurs vaginales. Pour Sacré-cœur, son alter ego s’accroche à un myocarde en flammes, que trois cosmonautes en apesanteur semblent analyser ; les anges se sont démultipliés et cette forêt de symboles ésotériques devient de plus en plus inquiétante. Enfin, sur Printemps 2020, elle apparaît via trois versions d’elle-même masquées et ligotées sur une chaise, tenant un crayon, un sablier ou la planète Terre, avec es œufs sous cloche et un pangolin dont on ne voit que la queue ; tout autour, sept anges dansent en regardant tourner des horloges.


    Mais qui est Maya ? Selon ses propres mots, cette dessinatrice franco-écossaise de 43 ans est une « enfant de la Goutte d’Or », qui vit et travaille à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), après avoir « écumé dès 1995 la scène rock indépendante avec de nombreux projets à l’esprit Do It Yourself largement assumé ». Très tôt « fascinée par le surréalisme, le psychédélisme ou la dimension médiumnique de certains artistes issus de l’art brut », elle pose ses guitares début 2014 pour reprendre le dessin, via des « fresques érotico-baroques réalisées à la limite de l’état de transe » ou de « foisonnantes frises aux motifs hérités de la Renaissance », entre esthétique punk-rock, iconographie judéo-chrétienne et décorum fétichiste.


    Pour Double Trouble, expo qui l’associe au dessinateur Jean-Luc Navette, elle revisite donc l’art de l’autoportrait, via des dessins qui saisissent par la luxuriance minutieuse de leurs détails. « Ma technique me demande des heures (des jours, des mois) pour finir un dessin. Cet appel impératif et obsessionnel des détails, des petits traits noirs, m’apporte une qualité de concentration proche de la méditation. Ce temps long et suspendu est devenu le refuge évident de ma pensée, une accalmie salvatrice, à contre-courant d’un monde qui me semble souvent trop peuplé, trop bruyant, trop rapide pour ma nature plutôt contemplative. »

    Ces accalmies, un soir, lui ont donné une idée, qu’elle esquisse ici : le « service civique d’inactivité », un rendez-vous quotidien obligatoire avec l’ennui et « l’immobilité inefficace », sans écrans ni yoga. Zéro injonction à être zen. Une heure pour que dalle, nada, walou. Waou !


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Galerie Arts Factory, 27 rue de Charonne, Paris 11e.


    Pour écouter une autre utopie improductive signée du musicien Floyd Shakim, c’est ici : https://www.nova.fr/news/floyd-shakim-demain-on-applaudira-tout-ce-qui-est-rate-foireux-mal-prepare-130414-25-02-2021/


    Dessin : Maya McCallum, fragment de Vanité (2019).

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    7 mins